Les projets biogaz en Allemagne
Interview de Marie-Luise Schaller sur les critères de réussite des projets biogaz, septembre 2016
Office franco-allemand pour la transition énergétique (OFATE) : Quels sont les éléments déterminants pour la réussite de projets biogaz ?
Marie-Luise Schaller (ML Schaller) : Les projets réussis atteignent un niveau optimal pour les trois éléments suivants : rentabilité, qualité et durée. La rentabilité d’une installation ne dépend pas seulement de la rémunération de l’énergie injectée. Elle est surtout liée à la viabilité du concept dans son ensemble, adaptée au site d’implantation du projet et au cadre réglementaire en vigueur. Contrairement aux idées reçues, la taille d’une installation est loin d’être le facteur déterminant en termes de rentabilité. En effet, même de petites installations, telle qu’une unité de micro-méthanisation de lisier, peuvent être considérées comme rentables aujourd’hui en Allemagne. De grandes installations peuvent s’avérer au contraire peu profitables.
OFATE : Comment les projets biogaz ont-ils évolué en Allemagne ? Cette évolution a-t-elle eu des répercussions sur la rentabilité des projets ?
ML Schaller : Au départ, les projets se limitaient à une simple valorisation du biogaz vers l’électricité pour le réseau local. Désormais, des projets plus complexes et interconnectés se développent. Pour exploiter tous les potentiels, différents éléments sont associés comme : la production de biométhane ; la cogénération chaleur et électricité, avec un lieu d’installation adapté pour une meilleure utilisation de la chaleur ; ainsi que la valorisation du biométhane sous forme de carburant.
Difficiles et longs à développer, ces projets perdent néanmoins souvent en rentabilité. Par exemple, l’introduction d’un nouveau cadre de rémunération peut rendre le projet en développement moins intéressant. Les avantages socio-économiques du biogaz, comme l’approvisionnement en chaleur de meilleure qualité, la contribution à la stabilité du réseau ou la sécurité énergétique, ne sont pas rémunérés financièrement aujourd’hui.
OFATE : De quoi dépend la rentabilité des projets biogaz en général ? Quelles forces se dégagent des bonnes pratiques de gestion d’installations ?
ML Schaller : La rentabilité d’une installation de biogaz se base sur les trois piliers suivants : biologie (des substrats et un rendement optimal en gaz), technologie (une technologie et un mode de fonctionnement adéquats) et système (des modèles de valorisation rentables et optimisés localement pour la production de biogaz, d’électricité et de chaleur, ainsi que, le cas échéant, pour le digestat).
Les analyses ont également mis en évidence les points d’amélioration ainsi que les forces des bonnes pratiques suivants : sécuriser la fourniture des substrats, notamment de matières avec un rendement élevé en gaz, tout en tenant compte des alternatives lors de hausse des prix ou de pénurie ; mettre en place les équipements appropriés pour préparer les matières premières utilisées et les mélanger dans le fermenteur, ceci afin d’éviter les incidents ; prendre en compte une durée de fermentation suffisante (supérieure à 100 jours en cas d’utilisation de cultures énergétiques). L’investissement dans un fermenteur de volume suffisant est alors nécessaire et dans la mesure du possible, une exécution en deux étapes ; couvrir les réservoirs de stockage du digestat pour capter et valoriser le gaz résiduel ; optimiser la maintenance des unités de cogénération et des autres dispositifs ; assurer autant que possible un taux élevé de valorisation de la chaleur.
OFATE : L‘Agence des matières premières renouvelables (Fachagentur für nachwachsende Rohstoffe e.V., FNR) a publié en 2009 une étude appelée « programme de mesures biogaz II » (Biogas-Messprogramm II) comparant 63 installations de méthanisation. Quels critères ont été définis et quelles sont les conclusions de cette étude ?
ML Schaller : 63 installations représentatives ont été étudiées dans le cadre d’un vaste programme de mesures durant un an. L’évaluation comparative des résultats a pu être réalisée pour 59 des installations selon les 6 critères et leur valeur cible suivants : rendement en méthane (> 371 Nm³CH4/tmso) ; production spécifique d’électricité (> 1296 kWhél/tmso) ; utilisation des capacités électriques (> 85 %) ; potentiel relatif de gaz résiduel (<2,1 % du rendement en CH4) ; résultat théorique de cette branche d’exploitation (bénéfices ou pertes) (> 2,9 c€/kWhél) ; utilisation de la chaleur / exploitation des capacités thermiques (>23 %).
L’étude permet de tirer les conclusions suivantes : Les conditions de soutien de l’époque permettent en principe une exploitation rentable des installations (tarif d’achat entre 16 et 19,1 c€/kWh). Les rendements des installations étudiées ne dépendent pas de la puissance installée. Une puissance plus importante n’a pas nécessairement eu les meilleurs rendements ; même des petites installations ont réalisé des bénéfices intéressants en répondant aux critères et valeurs cibles. Lorsque 5 ou 6 critères étaient remplis, soit un niveau de qualité optimal du projet, des bénéfices spécifiques de plus de 3 c€/kWh ont été obtenus. Le bénéfice maximal réalisé était de 7 c€/kWh.
OFATE : Le changement de cadre juridique a-t-il eu des répercussions ? Quelles possibilités offre-t-il pour le futur de la filière biogaz ?
ML Schaller : Le cadre juridique a évolué en Allemagne. A la place du tarif d’achat fixe, avec des conditions définies et garanties à long terme, des valorisations soutenant une offre plus flexible pour l’intégration au marché électrique ont été proposées. Elles offrent des possibilités de conception intéressantes. Environ 2700 installations de biogaz sont déjà passées à la vente directe. D’ici 2017, la vente directe via appels d’offres, déjà applicable à certaines énergies renouvelables, devrait être étendue aux projets biogaz. Concernant les approches innovantes, telle que la valorisation du CO2 par des installations power-to-gas, des solutions opérationnelles et rentables restent encore à élaborer. Depuis son adoption en 2000, la loi sur les énergies renouvelables (Erneuerbare-Energien-Gesetz (EEG)) a connu 5 réformes. Dans le passé, le soutien spécifique aux cultures énergétiques a boosté le développement du biogaz en Allemagne, avec des variations importantes selon les régions, la taille des installations et la technologie utilisée. La suppression de ce soutien par la réforme 2012 de la loi EEG a considérablement ralenti le développement du biogaz. Celui-ci est quasiment au point mort depuis la 4ème réforme de 2014. Pendant la période d’essor de la filière biogaz, entre 2004 et 2011, un grand nombre d’entreprises, d’emplois et de savoir-faire se sont développés. Cette évolution a été stoppée, notamment en raison de la baisse des rémunérations actée par les dernières réformes de la loi EEG. La faillite de constructeurs d’installations, de fournisseurs et d’unités de méthanisation en a été la conséquence. Sur quelques 63 000 emplois en 2011, 20 000, soit près d’un tiers, ont été supprimés dès 2012. Aujourd’hui, on compte environ 44 000 emplois selon des chiffres du syndicat biogaz (Fachverband Biogas e.V.) en novembre 2015.
OFATE : Quelles conclusions peuvent être tirées des études évaluant la rentabilité des unités de micro-méthanisation de lisier (installation d’une puissance inférieure ou égale à 75 kW et avec des substrats composés d’au moins 80 % de lisier ou de fumier) ?
ML Schaller : Pour une installation rentable dans les conditions actuelles, les exigences suivantes doivent être satisfaites : un investissement relativement faible ; un mode de fonctionnement robuste et simple associé à un niveau de sécurité satisfaisant ; des frais d’exploitation faibles (main d’œuvre, ressources, maintenance).
Les unités de méthanisation 100 % lisier sont avantageuses en termes d’investissement. La loi EEG prévoit en effet une dérogation à l’obligation de couvrir les réservoirs de stockage du digestat d’un couvercle étanche au gaz et de respecter une durée minimale de stockage dans le système de 150 jours. Le rendement en gaz est en revanche moins intéressant. Pour valoriser les résidus de gaz, il est donc conseillé d’équiper tous les nouveaux réservoirs d’un couvercle. Des économies théoriques sont souvent constatées pour les installations de méthanisation, s’il est possible d’utiliser une infrastructure existante pour le lisier ou d’en construire une. Les unités de méthanisation 100 % lisier ont besoin de beaucoup de chaleur en hiver pour assurer leur fonctionnement propre. Ceci est un inconvénient pour la valorisation du lisier. Dans certains cas, il ne reste pas de chaleur à valoriser, à moins de prévoir une isolation coûteuse du réservoir. En revanche, l’utilisation de cultures énergétiques pour 20 % des substrats entraîne un meilleur rendement en gaz. Elle représente aussi des investissements plus importants liés à la complexité de la technologie d’alimentation, à la plus grande taille des réservoirs et à leur couvercle.
OFATE : Quelles expériences ont été faites sur la qualité des unités de méthanisation en Allemagne ?
ML Schaller : Ici, des progrès constants ont été accomplis. Ces progrès se basent autant sur expériences positives et que négatives, comme des baisses de production et des incidents. Le nombre de sinistres augmente nécessairement avec le nombre d’installations et d’exploitants. Ces retours d’expérience conduisent à améliorer la conception des installations, mais aussi à élargir le champ des prescriptions relatives à la sécurité et à l’environnement. Petit à petit, conception et planification, investissements productifs et exploitation nécessitent plus d’efforts. Des réglementations spécifiques à la construction et à l’exploitation des installations de méthanisation sont créées ou adaptées. Aujourd’hui, plus de 40 lois nationales et régionales, règlements, directives techniques, etc. doivent être pris en compte. De plus, certaines dispositions de mise en œuvre varient d’un Land à l’autre.
OFATE : Le « programme de mesures biogaz II » (Biogas-Messprogramm II), mentionné auparavant, a été analysé par le Comité pour la technique et le bâtiment dans l’agriculture (Kuratorium für Technik und Bauwesen in der Landwirtschaft, KTBL) pour détecter la fréquence des sinistres. Quelles sont les conclusions de cette analyse du KTBL ?
ML Schaller : Les résultats montrent que 78 % des dysfonctionnements et dommages concernent les équipements de l’unité de cogénération, les intrants solides, les pompes, les conduites ou le processus de méthanisation. Les problèmes liés à l’unité de cogénération arrivent largement en tête, notamment les pannes moteur qui peuvent se produire pour diverses raisons : impuretés dans le gaz, entrée d’humidité, huile trop acide à cause d’une maintenance trop espacée, problèmes de réfrigération (produit réfrigérant inadapté), problème de commande, surcharge, erreurs d’utilisation (alertes ignorées)… Dans la plupart des cas, une bonne gestion opérationnelle permet d’éviter ces problèmes. Environ un tiers des autres problèmes concerne des dommages résultant en général d’une mauvaise adaptation des composants de l’installation aux substrats utilisés. Les endroits par lesquels le gaz peut s’échapper méritent en outre une attention particulière. Selon les experts, les fuites entrainent la perte d’environ 1,8 % du biogaz produit. Les pertes sont encore plus importantes, si les réservoirs de stockage du digestat ne sont pas couverts ou si la maintenance des éléments, comme les passages de câbles ou les dispositifs de sécurité en cas de surpression ou de dépression, n’est pas effectuée correctement.
OFATE : Quel est le degré de sécurité des unités de méthanisation en général ?
ML Schaller : Les incidents graves, comme les incendies, les explosions ou éclatements ou encore les préjudices environnementaux sont plutôt rares selon les assureurs. Mais ces sinistres se révèlent les plus coûteux, pouvant atteindre plusieurs millions d’euros. Les dégâts liés aux tempêtes ne jouent qu’un rôle secondaire, avec des sinistres s’élevant en moyenne à 25 000 euros. Cette situation positive est due à une sensibilité accrue à l’égard de la sécurité et aux progrès réalisés par la filière, mais aussi à la règlementation en matière de nuisances environnementales qui n’a cessé d’évoluer au cours des années passées. De nouvelles procédures d’autorisation et des prescriptions plus strictes se sont ensuivies. D’importantes exigences supplémentaires, notamment pour les grandes installations, ont été définies au regard des études sur les dangers et des obligations documentaires des exploitants. Les processus liés à la conception, l’autorisation et l’administration des projets se sont par conséquent alourdis. Suite au 4ème amendement de l’ordonnance fédérale allemande sur la protection contre les nuisances (Bundes-Immissionsschutzverordnung (BImSchV)), des installations auparavant soumises à un permis de construire relèvent désormais du régime d’autorisation prévu par cette loi BImSchV. De ce fait, même certaines installations ayant déjà un permis doivent passer par une nouvelle procédure d’autorisation plus complexe.
OFATE : Le Ministère de l’Environnement, du Climat et de l’Énergie du Land de Bade-Wurtemberg a publié en 2015 une étude appelée « campagne de surveillance menée par l’inspection du travail : exploiter les installations biogaz en toute sécurité » (Überwachungsaktion der Gewerbeaufsicht – Biogasanlagen sicher betreiben). Quelles sont les conclusions de cette étude ?
ML Schaller : Sur les 850 installations de méthanisation dans le Bade-Wurtemberg, 721 (soit 84 %) ont été contrôlées entre mars 2013 et février 2015. Au total, des défauts ont été constatés sur 42 % des installations. Il s’agissait en premier lieu de problèmes liés à des travaux de construction ou d’amélioration de la performance effectués sans les permis nécessaires. Sur 11 % des installations, les problèmes constatés concernaient des vices de construction ou des défauts en matière de prévention du risque incendie, ou encore la modification non autorisée de certaines constructions. Près de 7 % des installations présentaient des défauts non rectifiés liés à la protection contre le risque d’explosion. Dans 6,5 % des cas, les instructions de service et d’exploitation n’étaient pas disponibles en allemand. Au regard du taux d’accidents, il s’avère que les accidents sont deux fois moins nombreux pour la méthanisation que pour les exploitations agricoles en général.
OFATE : Quelle est l’évolution de qualité des unités de méthanisation en Allemagne ?
ML Schaller : Les efforts liés à la gestion de la sécurité ne sont pas à négliger, suite à une évolution continue de la règlementation toujours plus stricte. Par conséquent, des composants techniques ont été ajoutés (surveillance des fuites, murs de protection, clôtures, surfaces suffisantes pour l’écoulement ou la récupération du digestat, glissières de sécurité autour de la centrale, etc.). Une norme technique complexe maîtrisée par les développeurs et fabricants d’installations expérimentés a ainsi été développée.
OFATE : Quelles sont les solutions innovantes pour un avenir prospère de la filière biogaz ?
ML Schaller : Quatre solutions sont à souligner :
Le repowering : Les progrès réalisés par la filière ont également ouvert de nombreuses possibilités d’optimisation des installations existantes. Dans un contexte de baisse du nombre de nouvelles installations, nombre de constructeurs d’unités de méthanisation se sont spécialisés dans l’amélioration de la productivité des installations existantes, activité appelée repowering. Au fil de leur exploitation, les centrales de cogénération et les autres unités perdent en rendement, malgré un entretien régulier. Lors du remplacement ou de la révision d’une unité de cogénération au bout de 10 ans, il est possible d’augmenter la puissance en ajoutant des équipements plus modernes et plus performants. Entre-temps, la résistance à l’usage a été améliorée et permet de réduire la fréquence des interventions de maintenance. Souvent, l’exploitant envisagera alors une amélioration du rendement de son installation et l’adaptation de cette dernière à une exploitation flexible pour pouvoir participer à la vente directe.
Le stockage de chaleur, comme le stockage par chaleur latente : cette technologie peut être utile pour améliorer les possibilités de valorisation de la chaleur. Le transport de la chaleur grâce à un accumulateur de chaleur mobile depuis le site de cogénération jusqu’au lieu de restitution offre une grande flexibilité pour la fourniture de chaleur aux consommateurs.
Le power-to-gas : Pour la demande de stockage des énergies renouvelables intermittentes, le power-to-gas est une solution souvent évoquée. L’électricité excédentaire issue de la production éolienne ou solaire est utilisée pour décomposer l’eau en hydrogène et en oxygène grâce à un électrolyseur. L’hydrogène peut alors être injecté dans le réseau de gaz naturel ou acheminé, via une infrastructure dédiée, pour être utilisé dans l’industrie ou le transport. Ces possibilités étant limitées, il peut être intéressant de transformer l’hydrogène en méthane, surtout en présence d’une installation d’épuration du biogaz. Le CO2 dégagé lors du processus d’épuration est alors utilisé dans une unité de méthanisation pour transformer l’hydrogène en méthane de synthèse. Vue la nécessité croissante de stocker l’électricité excédentaire, les efforts de développement de la technologie power-to-gas seront certainement poursuivis. Cette technologie offre l’avantage de pouvoir utiliser l’infrastructure gazière existante. Aujourd’hui, les stockages souterrains de gaz peuvent déjà accueillir l’équivalent de 200 TWh d’énergie environ.
Les applications d’engrais pour le CO2, comme les cultures d'algues : D’autres approches innovantes, s’inscrivant dans une logique de circuit fermé, pourraient résider dans l’utilisation du CO2 dans des cultures d’algues pouvant à leur tour produire des substrats pour la production de biogaz.
Contact :
Marie-Luise Schaller
Ingénieure de projets énergies renouvelables ; Consultante franco-allemande
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Interview réalisée par :
Julian Risler
Chargé de mission
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